"Les accords sur les risques psychosociaux permettent surtout aux employeurs de s'abriter derrière l'évaluation des risques pour faire semblant d'agir" selon Yves Clot, titulaire de la chaire de psychologie du travail au CNAM.

C'est dur - Bastille - Janvier 2010

L'interview qui a suscité cet article laisse à méditer. Un constat semble émerger. Les risques psychosociaux sont certes montrés du doigt mais aucune action d'ampleur ne semble être entreprise, hormis des cellules d'écoute d'urgence du mal-être des salariés, pour solutionner ces risques. Une certaine bonne conscience semble planer. On le sait: penser le changement ne signifie pas changer le pansement. Que faire? Que dire de plus pour alerter les conseils d'administration?

Yves Clot lance une piste: "Respecter le travail bien fait est la meilleure des préventions contre le stress, car il n'y a pas de "bien-être" sans respect du "bien faire". On touche du doigt ici encore un process RH souvent mis en avant sur ce blog: la reconnaissance non monétaire au travail.

En fait, soyons lucides

D'innombrables experts RH de renommée tant nationale qu'internationale, des économistes, de nombreux DRH et un nombre sans cesse plus important de dirigeants sont de plus en plus conscients de la gravité que représentent les risques psychosociaux pour la pérennité de l'entreprise. Pérennité d'abord financière. Le mal-être a un coût déjà exorbitant qui se chiffre en milliards d'euros en France chaque année. La démotivation des équipes trop secouées va aussi à terme augmenter ce coût car elles n'innoveront plus, ne s'engageront plus et feront le strict minimum pour leur employeur.

Anticipons et visualisons un scénario probable

Imaginons que les risques psychosociaux représentent pour les tenants des pouvoirs industriel et tertiaire une sorte de cause sociale un peu trop connotée "hippie" et ayant peu d'impact sur leurs stratégies productivistes à long terme. Ils peuvent en effet se dire "ça passera, c'est un sujet à la mode, laissons dormir et continuons". Que se passera -t-il alors?

Dans les mois ou les deux trois ans, peu d'indicateurs financiers internes les inquiéteront. Le stress aura certes un coût de plus en plus important mais le navire ne prendra pas l'eau: ils tiendront fort la barre pour maintenir le cap de salariés à sans cesse toujours plus contrôler. Ces derniers seront de plus en plus en retrait. La vie professionnelle deviendra un cauchemar rejeté par tous. La vie personnelle sera sans cesse plus investie. Jusque là, le scénario semble crédible.

Imaginons maintenant dans cinq ans le tableau

Même les salariés les plus résistants et zélés seront en retrait, malades, démotivés, improductifs.
Les CA des entreprises chuteront.
Les conseils d'administration, et les actionnaires avec, seront affaiblis dans leurs marges de manoeuvre.
La sinistrose la plus toxique verra le jour, laissant le pays exangue, vidé, sans possibilité de relance ni sociale ni économique car il sera trop tard: la gangrène est mortelle.

J'ai volontairement forci le trait. Ces scénarios sont plus que réalistes. Et catastrophiques. J'émets simplement une alerte forte qui est à transmettre au plus vite.



L'entreprise n'est pas qu'un lieu de souffrance mais ...

Oui, des signaux montrent que les risques psychosociaux sont pris en compte.

Oui, la sociologie d'entreprise apporte des éclairages innovants sur la complexité du système "entreprise".

Dans mon analyse "rayon laser", j'ai volontairement forci le trait, non pas pour stigmatiser ou décourager les modèles managériaux à suivre car salutaires mais pour provoquer un électrochoc non pas provocateur mais salutaire.

Certaines entreprises ont un véritable souci du bien-être de leurs équipes. Mais tout le monde sait qu'elles ne sont pas majoritaires.

Je m'appuie toujours sur des faits, des enquêtes, des articles de professionnels immergés dans le quotidien de l'entreprise pour encore mieux faire comprendre qu'il y a véritablement urgence, oui, urgence, pour véritablement prendre à bras le corps le problème grave que représentent les risques psychosociaux.

Capital a publié très récemment un article sur la santé des cadres menacée par le stress http://www.capital.fr/carriere-management/actua... 

Apparemment, je ne semble pas la seule à vouloir simplement prévenir. 
   
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La santé des cadres menacée par le stress

La santé des cadres menacée par le stress
© REA

Insomnie, difficultés conjugales, et même idées suicidaires... Les conséquences du stress lié au travail des cadres peuvent être gravissimes, s'inquiète la CFE-CGC à l'occasion de son dernier baromètre.

Entre une charge de travail croissante, un manque de soutien de leur hiérarchie et l’incertitude économique, les cadres sont au bout du rouleau. Plus de 81% des 1.077 cadres interrogés par la CFE-CGC évaluent leur stress à 6,2 sur 10. Et près des deux-tiers se sentent tendus ou tout simplement découragés.
Ce stress accumulé pèse gravement sur le moral des cadres. 62% souffrent de troubles du sommeil, 24% de difficultés conjugales, ou pire, d’idées suicidaires (5%). "Le stress est profondément ancré dans les entreprises sans pour autant être pris en compte", s’inquiète Bernard Salengro, secrétaire national de la CFE-CGC.
Malgré le plan gouvernemental de lutte contre le stress, qui oblige les entreprises à entamer des négociations, très peu prennent ces signaux d’alerte au sérieux. La CFE-CGC constate, par exemple, que les deux-tiers des employeurs ne cherchent pas à limiter le nombre de messages électroniques qui submergent les cadres. "Beaucoup investissent au contraire dans des serveurs ou des outils qui permettent à leurs salariés de rester connectés en permanence", constate le syndicaliste. Dans ces conditions, gare au "burn-out"…
Lire aussi
le dossier Carrière&Management :Surmontez votre stress au travail
l’interview de Marie Pezé, responsable de la consultation « Souffrance au travail » à l’hôpital de Nanterre : "Chaque semaine, je fais hospitaliser 2 à 3 cadres noyés sous l'information"
l’interview de Jean-Paul Teissonnière, avocat du syndicat Sud-PTT à France Télécom : "France Télécom doit devenir un symbole de la lutte contre l harcèlement organisé"
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Enfin, je tiens à dire que je suis apolitique et membre depuis 1998 de l'APSE - Association Professionnelle des Sociologues d'Entreprise - fondée en 1998 par Renaud Sainsaulieu dont j'ai eu la chance de suivre les enseignements phares sur le développement social d'entreprise à l'IEP Paris. Et je m'appuie beaucoup dans mes articles sur ses théories singulièrement contemporaines dont sont nés de nombreux dispositifs stratégiques actuels tels que la RSE, le Développement Durable, le label Charte Ethique, la Marque Employeur etc.

Mes propos, loin d'être militants ou accusateurs, tentent au contraire de prendre de la hauteur, de relativiser, d'apporter des éclairages et parfois comme ici d'alerter. Y compris en alertant avec force en faisant un effet de loupe.

Pourquoi?

Car un certain sens de "l'anticipation visionnaire" peut permettre des prises de conscience bénéfiques à tous les corps fonctionnels et champs d'organisation.

Bonnes réflexions_actions à tous.

--

Anne Verron

Consultante RH & Com°, Sociologue, Stratégie du Changement, Photographe d'art
Contact téléphonique: 06.12.17.59.79
Blog RH & Sociétal : Accompagner le changement
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Blog Art & Sociétal : Des gens ordinaires uniques
 http://desgensordinairesuniques.owni.fr
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L'interview Carrière & Management
Le 15/03/2011 08:30

"Les entreprises ne valorisent pas assez le travail bien fait"

"Les entreprises ne valorisent pas assez le travail bien fait"
© DR


Un an après l'affaire des suicides à France Télécom, 1.300 entreprises de plus de 1.000 salariés ont conclu des accords sur les risques psychosociaux et mis en place des plans de prévention du stress. Pas suffisant toutefois, pourYves Clot, titulaire de la chaire de psychologie du travail du CNAM * : "les employeurs se contentent du diagnostic sans prendre de vraies mesures".
Capital.fr : Il y a un an, le ministère du Travail publiait sur son site la liste des bons et des mauvaises élèves en matière de stress au travail. Cette pression médiatique a-t-elle été efficace ?
Yves Clot : Les accords sur les risques psycho-sociaux permettent surtout aux employeurs de s'abriter derrière l'évaluation des risques pour faire semblant d'agir. Dans les bureaux, rien n'a changé. Les salariés ont simplement rempli un questionnaire sans que cela ait des répercussions sur leur quotidien. Le problème de fond reste donc entier. Il existe un écart grandissant entre la conception du "travail bien fait" du salarié et les mesures de performance imposées par l'entreprise. Moins de temps, moins d'effectifs, moins d'investissements… ils n'ont plus les moyens de faire un travail qu'ils estiment correct, ce qui entretient un mal-être ambiant, avec comme conséquences une épidémie de troubles musculo-squelettiques, une explosion des maladies professionnelles, voire des suicides en série…
Capital.fr : Les entreprises en ont-elles conscience ?
Yves Clot : Nous sommes plutôt dans le règne du déni. D'un côté, les dirigeants imposent une conception de la performance court-termiste et productiviste. De l'autre, les DRH mettent en place des cellules d'écoute pour recueillir les plaintes des salariés mais sans jamais les prendre en compte. Les entreprises ne valorisent pas assez le travail bien fait. Les entretiens annuels, par exemple, sont totalement détournés. L'objectif est d'évaluer les performances, le facteur humain est le plus souvent négligé.
Capital.fr : La question du stress au travail est donc loin d'être résolue… 
Yves Clot : Ecouter ne suffit pas pour soigner. C'est une règle de base en psychologie. A force d'écouter sans prendre des mesures, le dialogue risque d'être totalement rompu. Dans les discussions actuelles, les employeurs se contentent encore d'évaluer les risques sans consulter leurs salariés sur la qualité du travail accompli.
Capital.fr : C'est-à-dire…
Yves Clot : Les salariés ont des capacités de créativité qui ne sont pas suffisamment exploitées. Plutôt que de parler de "risques psychosociaux", je préfère d'ailleurs utiliser le concept de "ressources pyschosociales". Pour donner du sens au travail, il est possible de recréer une dynamique collective. Il faut réconcilier le conseil d'administration, les syndicats et le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans une nouvelle institution, dont la mission serait de discuter des critères d'évaluation professionnelle. Respecter le travail bien fait est la meilleure des préventions contre le stress, car il n'y a pas de "bien-être" sans respect du "bien faire".
Propos recueillis par Sandrine Chauvin
* "Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux" (éd. La Découverte)
© Capital.fr 


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