Penser l'entreprise de demain : quelle liberté, quelle éthique ?


Je publie de nouveau ici 9 années plus tard cet article que j'avais publié jadis dans l'excellent quotidien Les Echos car il est toujours autant d'actualité.


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Penser l'entreprise de demain : quelle liberté, quelle éthique ?

ANNE VERRON | 

Ou comment avoir acquis l'intime et profonde conviction que la reconnaissance au travail est un élément clé de l'identité et de la santé des personnes ainsi que de la croissance, de la transformation et de la performance économique des organisations.

Un colloque s'est déroulé le 19 novembre 2009 à Paris sur le thème "Penser l’entreprise de demain : quelle liberté, quelle éthique ?" au siège de l'Unesco au 125, avenue de Suffren à Paris. Ce colloque fut très important, voire fondateur. Parce qu'il est toujours d'actualité aujourd'hui, je transmets de nouveau dans cet article les idées alors exprimées il y a trois ans. Nous avons dans une grande majorité et tous métiers confondus une vision commune de la place de l'humain dans l'entreprise. Et la philosophie humaniste y a un grand rôle à jouer. Elle peut nourrir et éclairer le management. Découvrez ci-après quelques idées et pistes de réflexion.

Zoom sur l'approche managériale visionnaire de Christophe Laval

Tout d'abord, je vous recommande au passage vivement l'ouvrage de Christophe LAVAL "Plaidoyer pour la reconnaissance au travail – La reconnaissance non monétaire : une pratique managériale au service du mieux-être et de la performance". Vous pouvez vous procurer ce livre si ce n'est déjà fait via le site https://www.reconnaissanceautravail.com/.

L'auteur, expert reconnu mondialement en management qui a dirigé entre autres Entreprise&Personnel dit : "avoir acquis l'intime et profonde conviction que la reconnaissance au travail est un élément clé de l'identité et de la santé des personnes ainsi que de la croissance, de la transformation et de la performance économique des organisations".

C'est d'actualité avec France Télécom/Orange et ses plus de 20 suicides scandaleux liés aux conditions de travail inadmissibles. Peut-être et hélas sans doute est-ce ici le cas d'une entreprise plus médiatisée, celle-ci en cachant déjà par trop d'autres. La souffrance au travail existe, tout le monde le sait. Il est temps d'agir. Et rapidement. L'éthique de l'entreprise doit être pensée, sa liberté aussi.

"Au delà d'un plaidoyer pour la reconnaissance au travail, ce livre est le chaînon qui manquait entre l'indispensable performance économique et le mieux-être dans l'entreprise qui reste le meilleur moyen d'y parvenir. L'objectif de l'auteur est de promulguer un véritable nouveau management dans l'entreprise au travers de la reconnaissance au travail tant formelle – salaire maintenu, rehaussé, augmenté – qu'informelle. Tout est repensé, les salariés sont alors vraiment reconnus par leurs managers de proximité, eux-mêmes reconnus par leur hiérarchie, etc. Les salariés ne subissent alors plus de stress, ni d'humiliation ou de harcèlement, ni de surdose de travail qui sont intenables et ingérables et qui impactent par trop fortement, on le sait, les résultats des entreprises via une démotivation générale et donc à une baisse logique de la contribution de chacun, de l'absentéisme, des maladies générées et un fort turn-over.

Apports et contraintes de cette approche

Avec cette approche de la reconnaissance au travail, les salariés peuvent enfin et veulent alors avoir de nouveau envie de s'investir dans leurs entreprises, car le climat social, respectueux de chacun, apaisé et créatif ; et les conditions de travail, au sens large, qui en découlent sont optimales. Du coup, les entreprises deviennent plus performantes. On sort de la crise.

Attention, par reconnaissance au travail, il est bien dit qu'elle ne soit pas de façade, car les salariés sont tous – est-il utile de le rappeler ? – dotés d'un esprit critique de plus développé et conscient de leurs droits et ils sentent aussitôt s’il y a supercherie. Si cette reconnaissance au travail n'est que poudre aux yeux, on court au fiasco économique et social : l'avertissement est majeur.

Pour ce faire, l'impulsion doit venir d'en haut, c'est a dire des dirigeants de tous bords qui se doivent de montrer la voie par la mise en place de politiques éthiques non autoritaires et démocratiques qui ne sont pas que des paroles en l'air, mais s'appuyant sur des faits et des pratiques vérifiés et concordant avec leurs discours, discours plaidoyer pour une vraie reconnaissance au travail et non, en caricaturant, un discours basé sur un "tu marches ou tu crèves".

L'approche est originale, car elle fait du rapport salariés/entreprises un rapport gagnants/gagnants. Cette approche économique, sociale et politique bénéfique tant pour l'économie que pour le bien-être de tous ne peut que rejaillir en cascades sur les salariés, les dirigeants, les chômeurs et donc sur toute la population, car les conditions sont alors réunies pour que la croissance économique reprenne et que la société soit idéalement démocratiquement plus "juste" et plus "agréable" pour tous.

Quel sens donner au travail aujourd'hui ?

Le travail n'est plus la santé, il est devenu mortel. Triste constat qui se doit d'être désamorcé. Aussi l'orientation contemporaine des experts RH dits précurseurs privilégie l'idée fondatrice que le travail n'a pas de sens au travers du seul mérite individuel, car constituant une conception dangereuse favorisant une vision élitiste, divisant les équipes et nourrissant méfiance et coups bas. Est aussi et surtout disqualifié le fameux ancien dogme "diviser pour mieux régner" reconnu enfin à l'unanimité comme dévastateur, car rendant de facto toute entreprise amorphe et inefficace tant le climat social est alors désagrégé, non efficient et contre-productif. L'entreprise, pour être performante, et non plus qu'à simple court terme, en pressant ses salariés comme des citrons, se doit de concilier prise en compte de l'humain, de l'économique et du social. Il est important d'anticiper et d'agir rapidement pour prévenir les risques psychosociaux et économiques déjà constatés qui sinon iront en s'amplifiant sans cesse plus, paralysant alors l'économie déjà bien gangrenée.

L'entreprise de demain en 2013 ou en 2022

Le travail n'a de sens fondateur qu'en respectant et en reconnaissant les capacités de chacun(e), quel qu'il soit et quelles qu'elles soient. Les salariés travaillent avec "plaisir" et deviennent proactifs et productifs quand ils sont profondément reconnus et non soupesés et évalués. Ce sont des hommes et des femmes à tous les échelons hiérarchiques qui font les performances de leurs entreprises : il est donc indispensable de les prendre en considération, de les respecter et de les reconnaître. Pas de propos utopistes ici, mais de simples faits vérifiés et vérifiables partout qu'il est sensé, voire urgent, d'énoncer et de rappeler. L'éthique de l'entreprise de demain, voire de l'organisation de demain au sens large, est une éthique respectueuse de tous ceux qui la composent, y compris en respectant l'Environnement. C'est une éthique citoyenne, à visage humain et responsable de ses salariés.

C'est à cette condition que l'entreprise sera alors de nouveau performante au travers d'un impératif certes devenu à la mode, mais devenu sur le terrain impatiemment attendu et incontournable : du bien-être des équipes découle non seulement un chiffre d'affaires boosté, mais aussi une marque employeur crédible, une responsabilité entrepreneuriale, voire sociétale, assumée et le défi managérial majeur de cette décennie.

Lien source
http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2013/02/08/cercle_65086.htm

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